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D’auteur à acteur, une lettre de différence

D’auteur à acteur, il n’y a qu’une lettre de différence. Une différence de taille. Regarde-toi, l’écrivain ! Ta coupe de vin dans une main, des minauderies sucrées débordent de tes lèvres. Es-tu auteur ? Tu le prétendras, mais un acteur peut prétendre à tout. Quel est le rôle d’un écrivain ? Ecrire. C’est sa seule utilité, sa seule raison de vivre. Il écrit. On se fout de savoir ce qu’il écrit, comment il l’écrit et pourquoi il l’écrit. Ecrire est son propre but. Il ne s’agit même pas d’écrire pour être lu. Le lecteur, c’est l’une des incidences de l’acte d’écrire. Tout auteur est heureux de se savoir lu, mais il n’a pas écrit primordialement pour le lecteur. Il a écrit par nécessité.

L’écrivain qui écrit, le lecteur qui lit. Cela devrait. Ce n’est pas le cas. Car aujourd’hui, nous épuisons un temps considérable à nous placer en représentation, dans un théâtre très codifié auquel nous avons dû nous adapter, bon gré mal gré. Peut-être le faisons avec gêne au début, voire avec déplaisir. Puis nous nous habituons, nous apprenons à jouer notre rôle, nous apprenons à aimer ce métier d’acteur.

A cet Opera dei Pupi, pourquoi participons-nous ? Pour le public, sans doute. Pour les autres acteurs, plus vraisemblablement. Parce que l’auteur appartient à un groupe et que ce groupe est régi par des règles tacites qu’il doit respecter sous peine d’en être banni. Finie l’individualité, à bas les enfants terribles. Dans un groupe, l’instinct de meute hiérarchise les individus et les comportements. Nous nous retrouvons dans une nouvelle culture de la mondanité, de la même manière qu’on tenait salon au XVIIIe siècle. « Goût du divertissement et théâtralité des comportements » (1) ; pour un peu, on parlerait en alexandrins.

Le temps que nous perdons dans une farce qui n’est pas la nôtre, nous ne pourrons le récupérer. Ce sont des dizaines d’heures que nous n’avons pas consacrées à l’écriture, heures inutiles et futiles. Nous passons d’auteur à acteur par le regard d’autrui. Le processus est simple, il naît du besoin humain d’être reconnu par l’autre dans l’image complaisante qu’il entretient de lui-même. Un écrivain est écrivain en cela qu’il écrit. La définition est simple a priori. Pourtant, trop souvent, il a besoin que ses pairs le lui confirment. Au fond de lui, il doute : est-il bien ce qu’il prétend être ? Aussi se pliera-t-il aux exigences sociales des sociétés littéraires, tout comme enfant, dans la cour de récréation, il se pliait aux lois de ses camarades pour être bien vu, pour qu’on joue avec lui, pour ne pas être seul.

Léo Ferré criait en son temps : « les sociétés littéraires, c’est encore la société » et ajoutait avec la pertinence qu’on lui connait « la pensée mise en commun est une pensée commune » (2). Nous pensons échapper à la solitude ? C’est un leurre, un conte de fées. La solitude est en chacun de nous, elle caractérise tout être vivant. Et plus que tout autre métier, écrire, c’est être seul.

Ne perdons pas de vue notre nécessité personnelle d’écrire. L’écriture n’a d’autre but qu’elle-même mais à force de la sociabiliser, nous l’associons peu à peu au fait d’être lu, puis d’être connu, suivi, aimé. L’écriture risque de devenir non plus l’objectif, mais le moyen de l’objectif. Ainsi certains écriront dans l’espoir d’avoir du succès, avec la volonté de réussir (réussir quoi, au juste ?), obnubilés par le regard de l’autre. Ils se travestiront aux attentes présumées d’autrui. Ceux-là auront troquer l’auteur pour l’acteur.

Dites, les auteurs, si nous arrêtions de nous théâtraliser sous des prétextes fallacieux ? Nous ne sommes pas là pour cela. Explorons plutôt les raisons que nous avons d’écrire, trouvons notre vérité au lieu d’adopter les mensonges d’autrui. Cessons de perdre du temps, le temps nous est compté. D’auteur à acteur, il n’y a qu’une lettre de différence. L’un ou l’autre, il faut choisir.

(1) https://ahrf.revues.org/9633

(2) Léo Ferré, Préface

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