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Auteur : oui, je fais un vrai métier !

Ce matin, j’ai envie de pousser un petit coup de gueule. Certaines phrases de certains gens mal intentionnés me sont revenues à l’esprit, dans un moment de rêverie.

Ami auteur, qui ne fais pas non plus un vrai métier, je suis sûre que tu les as déjà entendues toi aussi…

On va commencer par celle-là, la plus classique et la plus pénible. Parce qu’écrire des livres, c’est connu, ce n’est pas un métier. Pas un VRAI métier. Personne n’a jamais été foutu capable de définir ce qu’est un faux métier, mais ça ne semble gêner personne. Déjà, écrire c’est une passion, donc pas un travail. Les gens entendent toujours le travail dans son étymologie latine, à savoir tripalium, qui était un instrument de torture. Eh oui, le travail, le vrai, on le subit, on le souffre, il fait mal, on le déteste. Mais on le fait quand même parce qu’on a un sens aigu du sacrifice de soi (et on n’est même pas japonais pourtant !). Donc, c’est parfaitement logique : si tu aimes ton métier, ça n’en est pas un.

Ecrire, ça ne demande aucune compétence, hein, aucun savoir. Tout le monde est capable d’écrire. D’ailleurs sitôt vous dites que vous êtes auteur que l’un embraye sur lui et la rédaction qu’il avait faite en 6e, l’autre sur les poèmes qu’elle écrivait pour son amoureux à l’école primaire. A les écouter, tous vos interlocuteurs auraient pu devenir des auteurs de best-sellers. Et s’ils n’y sont pas parvenus, c’est qu’ils n’ont pas eu votre « chance ». Mais bien sûr…

Toi, l’auteur qui te prends la tête pour écrire une histoire bien ficelée, tu écoutes poliment tes interlocuteurs. Ils ont bien le droit de rêver, n’est-ce pas ? Malheur, voilà qu’ils te sortent tous leurs brouillons d’écriture et te les tendent pour examen, fiers comme des bars-tabacs, persuadés que tu vas trouver leurs bafouilles absolument extraordinaires et que tu vas t’incliner piteusement devant leur talent édifiant, très au-dessus du tien naturellement. Toi, tu retiens une grimace, c’est illisible, plat et rongé de fautes d’orthographe. Gare à toi si tu ne t’extasies pas, l’auteur se doit d’être excellent comédien !

C’est marrant, c’est une question qu’on ne pose jamais à un salarié, même mal payé. Mais il semble normal que l’auteur, lui, doive se justifier sur ce qu’il gagne chaque mois. Sous-entendu s’il ne gagne pas assez, c’est qu’il est nul. Là, ami auteur, tu as trois solutions. 1 : tu dis la vérité, tu t’exposes à passer pour une truite et ton interlocuteur se fendra d’un regard de fausse compassion. 2 : tu mens, tu te glorifies, tu t’inventes un compte en banque mirifique mais tu prends le risque que ton interlocuteur te demande ensuite de lui prêter de l’argent. 3 : tu restes flou et tu changes de conversation. Tu peux embrayer sur ton chat qui a attrapé un coryza, sur le temps qu’il fait et, ma pov’ dame, y a plus de saison (sujet en or), sur la politique, la crise de l’industrie, le développement durable, ou si tu es très malin, sur ton interlocuteur lui-même qui adore parler de lui.

Oui, quoi qu’en pensent certains, je fais un vrai métier. Je me lève tous les matins avec l’envie de me mettre au travail. Ce que je fais d’ailleurs bien plus vite que le salarié moyen, puisqu’il me suffit pour commencer ma journée de boulot d’allumer mon ordi, armée d’un mug de café. Je ne compte pas mes heures, mais je sais que j’en fais bien plus que 35 par semaine. Et j’y gagne des nèfles, parce que les métiers de l’écrit sont les plus mal payés de tous. Contrairement à ce que certains pensent, je ne passe pas mes journées à me lamenter en pyjama sur mon sort d’artiste incomprise. Il m’arrive de me lamenter en pyjama, je ne dis pas, mais jamais plus de 10 minutes par jour (question d’hygiène professionnelle).

Que fais-je de mes journées sans personne pour ordonner mes tâches ? J’écris, bien sûr. Je prépare mes prochains livres. Soit je relis, corrige, réécris, mets en page, crée des couvertures, rédige les résumés. Puis je publie, je suis mes ventes, fais des promotions. Je participe à des salons et dédicaces, ces journées interminables où on part à l’autre bout de la France pour vendre cinq pauvres livres en deux jours, sacrifiant le week-end qu’on espérait passer en famille. Je fais les comptes, je m’occupe de l’administratif, je gère mes réseaux, mon site, j’écris des articles, je tweete, je prends des photos, j’améliore ma visibilité, je propose des concours, des services presse, bref je perds un temps fou pour gagner à ma cause quelques lecteurs.

Et, comme j’aime travailler plus pour ne gagner rien, je codirige l’association Les Plumes Indépendantes. Organiser un salon littéraire. Lancer un concours de poésie. Coordonner des recueils de nouvelles collectifs, préparer des box littéraires. Gérer les adhésions, les comptes, l’administratif, les demandes de subvention, les partenariats. Proposer de nouveaux projets, préparer un week-end littéraire, promouvoir mes collègues auteurs, etc, etc.

…et je vis sur le dos de mon conjoint (assertion véridique). Ce que je gagne, c’est de « l’argent de poche » (autre assertion véridique). Et ça me fait un peu mal d’entendre ça quand j’estime exercer un VRAI métier, qui a une VRAIE utilité et une VRAIE finalité. Tant pis pour ceux qui ne comprennent pas, je continuerai à tracer ma route. Et un petit conseil aux auteurs qui désespèrent et envisagent de tout arrêter sur les bons avis de leur entourage : N’écoutez jamais les gens, ils finiraient par vous le reprocher.

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