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Pourquoi je n’écrirai jamais de feel-good

Oui, je sais, je risque de me faire des ennemi(e)s. Le feel-good est devenu en quelques années le genre littéraire à la mode. Tout le monde en lit. Ca fait joli à prononcer : « j’écris du feel-good« , « je lis du feel-good » et on a plaisir à lever les yeux au ciel dans un mouvement légèrement méprisant quand votre interlocuteur vous répond « du quoi ? ». Oui, il m’arrive d’en lire aussi. Du Aurélie Valognes et de nombreux auteurs dans la même mouvance. Et j’apprécie. Je passe un moment agréable.

Mais… Dans cette version édulcorée de la réalité remplie de fleurs et de gens gentils, n’y a-t-il pas quelque chose d’illusoire ? N’est-ce pas au mieux naïf, au pire mensonger de penser que les gentils triomphent toujours, que chaque rencontre est enrichissante, que les humains sont tellement intéressants, que l’espoir c’est bien et l’amour c’est beau, etc ? D’accord, je grossis le trait. Mais dans l’esprit, c’est cela : choisir de voir la vie du bon côté. Une jolie devise, sauf que l’auteur de feel-good travestit la réalité. Il décide de ne voir qu’une partie de la vie. Or, ce qui fait la richesse de l’être humain, c’est précisément sa complexité, et donc aussi ses ombres, ses perversités, ses trahisons, sa monstruosité. Derrière un sourire se cache parfois l’amertume ; des bras grands ouverts ne sont pas forcément le signe d’une amitié merveilleuse, et l’amour peut être feint.

Voilà ce qu’est le roman feel-good : il prend les apparences pour une vérité. Il fait du bien, dit-on. Admettons, mais dans ce cas, rangeons ce genre littéraire à côté des romans fantastiques, car ils ne sont pas plus réalistes que Harry Potter ou Le seigneur des anneaux.

La littérature actuelle me fait peur : j’ai peur que les écrivains du XXIe siècle se transforment en chamallow bio/ gonflés de thé/ vegan/ qui trient leurs déchets/ ne fument pas, ne boivent pas/ ne mangent pas trop gras, trop sucré, trop salé. Bien sûr, chacun vit comme il l’entend, mais le mode de vie a une incidence sur l’écriture. Imaginez un instant un Verlaine non-alcoolique, un Baudelaire optimiste, un Rimbaud raisonnable. Imaginez ce que serait Fin de partie de Beckett en version feel-good. Nombre de grandes œuvres ont été écrites dans la souffrance et la violence, dans l’obscurité. Les bons sentiments ne peuvent y gouverner.

Qu’est-ce à dire ? Que le feel-good est un sous-genre littéraire parce qu’on veut faire du bien au lecteur ? Non, non et non. Loin de là. Il y a de très belles plumes dans le feel-good, et des livres très plaisants à lire. En vérité, cet article n’a pas pour but de cracher sur le feel-good et ceux qui le représentent, cet article a pour but de vous faire un aveu.

Mea culpa. Amis auteurs, vous m’avez admise dans vos rangs en me croyant des vôtres. Mais je ne suis pas comme vous, pardon. Le XXIe siècle n’est pas pour moi. Mon mode de vie ne correspond pas aux attentes de notre époque. Je fuis le bio, mon alimentation est composée essentiellement de fromage, je déteste le sport, je fume beaucoup, je bois régulièrement, je ne trie mes déchets que parce qu’on m’y oblige ; je suis totalement misanthrope et ne sors de chez moi que deux ou trois fois dans la semaine, les gens m’ennuient, les rencontres me stressent, je perçois les mauvaises intentions derrière les sourires policés et je ne vois pas la vie du bon côté. L’obscurité d’une personne m’interpelle davantage que ses bons sentiments, ainsi ses tristesses, ses colères, ses souffrances composent un individu au moins autant que ses sourires.

Peut-être est-ce vous qui avez raison de voir la vie dans ses bons aspects, même si c’est une vérité tronquée. Je ne cherche pas à vous démontrer que mon opinion est la meilleure qui soit. Simplement, vous savez à présent pourquoi je n’écrirai jamais de feel-good.

Oui, je sais : il ne faut jamais dire « jamais ».

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