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Sur les chemins noirs, Sylvain Tesson (chronique)

Sur les chemins noirs est un récit de voyage de Sylvain Tesson, sur les petites routes de France. Il est sorti chez Gallimard en 2016. Détails ici.

Ce périple sur les chemins noirs plonge le lecteur dans une profonde sérénité. Il y a dans la descriptions des paysages ruraux traversés par l’auteur une espèce de spiritualité, quoique je n’aime guère le mot. Dès les premières pages, le lecteur est pris dans un alanguissement délicieux, une nonchalance douce, un « Carpe diem » qui transmute le drame en haussement d’épaules.

Au-delà des chemins noirs, c’est la société urbanisée et froide qui apparaît en filigrane pour pousser le lecteur à mieux s’en détacher. C’est l’agitation des villes et l’illusion des écrans. C’est l’espoir enfin de savoir qu’il existe encore des chemins à arpenter en toute liberté pour y découvrir ce que la solitude a de beau. Sur les chemins noirs de France, l’auteur y voit la Russie. Sans pouvoir me l’expliquer clairement, je perçois cela aussi. Des parfums et des sensations qui n’appartiennent qu’aux terribles russes et qu’on retrouve pourtant sur les chemins noirs. Surprenant, et si plaisant pour qui aime l’immensité de ce pays.

Les mots coulent comme des mélodies, bruissant comme le vent sur les branches d’un arbre, ruisselant comme un filet d’eau sur les parois rocheuses. Sylvain Tesson a le sens de la formule : « des fidélités de bête », « des propos de grimoire », « régulé comme une chauve-souris », … Il y a des phrases qui résonneront longtemps après cette lecture : « Mes nuits sous la jupe des arbres étaient des nuits du soleil », « un certain talent dans l’art de se tenir à l’écart sur leurs propres zones », etc.

C’est un drôle de personnage que ce voyageur à la gueule cassée qui arpente les chemins noirs comme si rien n’avait de prise sur lui, se laisse happer par un rayon de soleil ou la vision charmante d’un animal en lisière de forêt, allant sur la route comme on fait un pèlerinage, la foi en moins. Un voyageur qui savoure entièrement le présent, détaché de lui-même, semble-t-il.

Sur les chemins noirs, le lecteur croisera un ermite vivant de pain et de livres, une vieille dame regrettant les noyers, des cyclistes américains, des légionnaires, un couple d’Autrichiens, un vieil homme donnant à chaque mot des coups de canne dans le sol, …

Ce récit de voyage nous rappelle que nous avons beaucoup à vivre en nous-mêmes… Je ne le recommande pas à ceux qui ne jurent que par l’action. C’est une œuvre qui a le mérite de se méditer sans se réfléchir. Il y a des pages pendant lesquelles on s’ennuie un peu, de longues analyses sur la France rurale et la France urbanisée, que d’aucuns qualifient de pédanterie. Et c’est aussi la beauté des chemins noirs : retrouver le droit à l’ennui. D’autres voyageurs arpentent les chemins noirs. Leur périple ne s’arrête pas à la fin de ce livre. Il me donne envie de les arpenter à mon tour, ces chemins secrets. Un jour, peut-être, pour réparer une mauvaise chute…

« Là, quelque chose, un chemin noir, menait quelque part. […] Ce serait un bon début. Une fissure dans le présent. »

Edit du 06/11/2020 : Suite à la déclaration de l’auteur au sujet des Gilets Jaunes, j’ai failli supprimer cette chronique. Je la laisse tout de même car il serait absurde de censurer l’œuvre à cause de l’auteur. Mais je n’en pense pas moins quant aux moqueries faciles et méprisantes de Sylvain Tesson.

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