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Solitude et mégalomanie de l’auteur

Vouer sa vie à l’écriture, être auteur, n’est-ce pas déjà là la preuve d’une folie patente ? Nous avons trop tendance, nous autres auteurs, à nous voir du bon côté du miroir. J’entends déjà mes confrères et mes consœurs crier au blasphème à coups de « moâ j’écris parce que j’en ai besoin », « moâ je me moque du regard des autres », etc. Mettons les choses au clair et partons du postulat suivant : lorsque nous écrivons, dans l’action d’écrire, nous pensons à nous, à notre écriture et pas aux autres. Mais au-delà de l’acte d’écrire ? Lorsque nous faisons notre promotion sur les réseaux, lorsque nous dédicaçons un livre, lorsque nous conversons avec les autres, les non-écrivains, de notre métier ? Sous une surface d’humilité, quelle posture est la nôtre ? L’auteur est-il toujours si lumineux qu’il le prétend ?

Je n’aurai pas la prétention de donner une définition de la folie, ce serait très long et follement ennuyeux. Il convient néanmoins de reconnaître que l’auteur, par ses activités, se place quelque part dans les marges de la société et, sous cet angle, pourrait être considéré comme fou. Les gens « normaux » se lèvent le matin, grommelant d’indistinctes injures contre leur réveil, boivent leur café trop vite en se brûlant la langue, filent sous la douche, se préparent sans recherche, l’œil fatigué et la bouche pâteuse. Puis ils prennent leur voiture (pour certains, leur vélo ou le métro) et vont travailler. Ils rentrent le soir, le dos cassé, les épaules en avant, préparent le repas, s’occupent des gosses quand ils en ont, mangent devant les infos, s’endorment devant la télé. Ainsi va la vie et ce dicton terrible « Métro, boulot, dodo ». Certes, ceci est une parodie d’existence car la diversité des vies ne saurait être résumée en si peu de mots.

Certains travaillent en parallèle et côtoient de ce fait la vie des gens « normaux ». D’autres écrivent exclusivement. Certains se fixent une discipline rigoureuse : réveil à telle heure, écriture dans telles ou telles conditions… D’autres (comme moi) sont nettement plus  fluctuants. D’aucuns écriront au cours de leurs nuits claires, d’autres le matin, d’autres encore à n’importe quelle heure de la journée. Toujours est-il que les rituels et les moments d’écriture ont une caractéristique commune : ils sont librement choisis, personnels. Ils ne sont pas le résultat d’une contrainte extérieure. Quand pour certains, il y a contrainte, c’est eux-mêmes qui la définissent.

De ce fait, l’auteur se place dans une posture particulière par rapport à la société qui l’entoure. L’auteur, notamment l’auteur indépendant, a ceci d’ambivalent qu’il vit dans une solitude extrême (l’acte d’écrire étant quasiment toujours un acte solitaire) et paradoxalement se place (dans l’acte de publier et de promouvoir ses écrits) sous des regards inconnus. Il place sa solitude sous les regards absents. De même que son travail consiste à échapper à une réalité imposée, à en construire une nouvelle. L’auteur est à bien des égards semblable à un dieu, en ce qu’il est le maître exclusif de son univers et de ses personnages. D’un mouvement de poignée, il peut détruire un chapitre entier. En quelques mots, il peut créer une intrigue.

Ce pouvoir peut engendrer une dérive : un sentiment de toute-puissance. Nous avons tout pouvoir sur nos histoires, nous sommes rois et reines de papier. De plus, pour peu que nos romans plaisent, nous voilà harcelés de compliments et d’attentions. Nous n’y sommes pas accoutumés, une personne « normale » ne reçoit pas tous les jours autant de soutien. Cela surprend au début et puis… on s’habitue. Cela devient normal. Et donc toujours insuffisant.

Prenons l’exemple des réseaux sociaux : chacun de nos posts ou tweets peut être aimé, commenté, partagé. Par des gens que nous connaissons au début, puis par d’autres plus lointains, puis enfin par de parfaits inconnus. Dans cette logique de comptabiliser notre « pouvoir », notre influence, nous comptons les likes, les commentaires, les partages, le nombre de followers, les « impressions » de nos tweets. Certains le feront de manière pathologique, d’autres de manière épisodique. Mais enfin, nous voilà à compter le nombre de regards inconnus qui nous contemplent. Et ce ne sera jamais, jamais assez. Qu’un post soit liké par 2, 10 ou 1000 personnes, ce sera toujours insuffisant en comparaison d’untel qui aura fait plus. Ainsi, nous nous plaçons tout seuls dans une hiérarchie d’un nouveau type. Il en est de même pour le nombre de livres et d’ebooks que nous vendons. Nous en devenons, osons le mot, mégalomanes.

Ne nions pas la réalité : une part de nous est en quête d’une reconnaissance sociale. Ce besoin sera plus ou moins fort en fonction des individus et des vécus. Nous avons tous en nous, que nous écrivions ou pas, des failles narcissiques qui nous poussent à rechercher le regard des autres. Sans quoi nous pourrions vivre en ermites. Ce que nous regardons dans l’autre, c’est nous-mêmes. C’est la manière dont nous sommes perçus par l’autre.

Ecrire répond à un besoin intime, publier à un besoin social. Ce sont deux choses distinctes. Et voilà pourquoi tant d’auteurs, moi comprise, s’effondrent devant une critique négative. Non pas que nous soyons sûrs à 100% de notre livre, car souvent nous sommes très critiques vis à vis de nous-mêmes, mais nous nous habituons à recevoir d’autrui un adoucissement de nos doutes, une indulgence. La critique négative a cela d’insoutenable qu’elle nous renvoie à nos propres incertitudes, à notre rejet de nous-mêmes.

Il y a quelques mois, j’étais tendue. Très, trop. Je craignais que personne n’aime mon premier roman (ce qui s’est avéré complètement faux). Un sentiment normal, me direz-vous. Mais étrangement, je redoutais aussi qu’on l’aime. Les sourires et compliments m’apparaissaient aussi venimeux que les critiques, sinon plus. Parallèlement, il y avait en moi une insatisfaction terrible. Pour résumer, c’était trop, trop peu et jamais assez. Mon mari, très sage, m’a dit : c’est ta manière de fuir. Tu fuis en avant. C’était très juste. Ne supportant pas le regard des autres, même positif, j’allais au-devant de lui.

Recevoir des compliments en masse, ce n’est pas une chose naturelle. De même que, dans la vraie vie, nous ne sommes pas soutenus par des centaines voire des milliers de personnes. Nous avons, pour les plus chanceux, une famille, quelques amis dévoués, deux ou trois personnes qui nous aiment véritablement. Peu nous connaissent vraiment.

En tant qu’auteurs, nous sommes placés dans une situation étrange d’être des images avant d’être des personnes. Certains, ceux et celles dont le livre est devenu un best-seller, ont du jour au lendemain autour d’eux une espèce bizarre : les fans. Le fan, c’est celui qui ne vous connaît pas et néanmoins vous aime. Mais prenez garde de ne jamais montrer un autre visage que celui qui l’a séduit car le fan est un élément que la déception saisit facilement. N’ayant pas de lien intime avec vous, il sera impitoyable. Et voilà comment l’auteur, surtout l’auteur connu, se trouvera prisonnier d’un reflet déformant. Après s’être miré dans les autres, le voilà enchaîné à ce miroir. Il est devenu un être surfait, dont le relief est de toutes pièces fabriqué, le voilà qui doit prévoir ses coups de cœur et ses coups de sang. Le voilà personnage.

Mais il faut admettre au fond de soi qu’en tant qu’auteurs, nous vivons dans un clair-obscur permanent. J’ai forcé le trait, sans doute. J’ai dressé un portrait très noir de l’auteur, à partir de ressentis, de pressentis, d’observations. Tout cela mériterait largement d’être nuancé, puisque je n’évoque ici que des dérives possibles, conséquences potentielles de l’activité d’auteur. L’acte d’écrire demeure, lui, un acte libre et personnel, du moins j’ose le croire. Aussi parfois, quand je me sens fuir en avant, je coupe l’ordinateur, je me déconnecte, j’oublie les réseaux et les regards absents, et je vis.  Et j’écris. Hors des autres et hors de moi-même. Sublimant le clair-obscur qui me compose, comme il compose tout être humain.

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