Nous retrouvons la formidable Laureline Amanieux, auteur et réalisatrice (infos ici). Une très belle plume (j’ai lu son recueil La nuit s’évapore, que je vous conseille sans hésiter) à découvrir plus en profondeur dans cette interview.
Interview de Laureline Amanieux
Merci encore à Laureline Amanieux d’avoir accepté d’y répondre !
Laureline Amanieux, pour commencer, quelques mots sur votre parcours ?
J’écris depuis l’âge de 13 ans et j’étais déjà passionnée enfant par la lecture et l’écriture. Alors j’ai d’abord suivi des études de Lettres jusqu’au doctorat, enseigné le Français, puis la littérature. Dès 18 ans, j’ai publié des poèmes aux éditions du Club des Poètes fondées par le poète Jean-Pierre Rosnay. Par la suite, j’ai publié des essais aux éditions Albin Michel et Payot sur des thématiques qui me sont chères, dont la sagesse des mythes. Et depuis 2017, je publie aussi des nouvelles littéraires, et bientôt du roman. L’écriture de fictions a toujours été présente dans ma vie, mais j’avais besoin de faire mûrir mon style.
Vous avez un parcours très rempli : auteur, réalisatrice de documentaires… Le processus créatif est-il le même ou est-ce des démarches différentes ? Le support conditionne-t-il en partie ou totalité votre création ?
Après mes premières années professionnelles sur Paris, j’ai eu la chance de résider plusieurs années à San Francisco, New York et Rome avant de revenir travailler en France. Le contact avec d’autres cultures et les rencontres ont ouvert mon écriture à d’autres genres et je me suis formée à l’image et au documentaire. Il y a des différences : l’écriture littéraire est un acte solitaire même si on peut s’adresser à quelqu’un dans notre tête ou si l’on puise dans la vie des autres, ce qui est mon cas. On affronte les défis narratifs, la quête du mot juste, et le tsunami des émotions dans un face à face avec soi-même. La liberté y est totale, le danger intérieur aussi – on peut voguer d’un élan lyrique à une rêverie fantastique et s’enliser parfois dans une peine profonde avant de la transformer en mots.
L’écriture du documentaire commence en solitaire, il faut concevoir un angle original, un parti-pris fort, et projeter sur le papier une vision du scénario, mais l’écriture devient ensuite collaborative au fur et à mesure que l’on filme les personnages et qu’on monte les images filmées avec la production, l’équipe de tournage, de montage et le diffuseur aussi. Notre vision d’auteur reste la colonne vertébrale du film, mais l’aventure documentaire est collective, ce qui nécessite de la souplesse et des compromis. C’est fabuleux à vivre aussi. J’ai besoin des deux : de créer seule et avec les autres.
La Nuit s’évapore est un recueil de nouvelles. Pourquoi avoir choisi ce format ?
La Nuit s’évapore est un recueil de nouvelles et pourtant peut se lire comme un roman. Tout commence par la mort d’une amie chère de la narratrice, et celle-ci part en quête alors d’histoires positives qui puissent l’aider à traverser les étapes du deuil. Elle rencontre 10 personnages, qui après une épreuve changent pour le meilleur. Ce sont des histoires qui font du bien quand la vie fait mal, et qu’on m’a réellement racontées même si je les ai transformées.
La narratrice apparaît en fil rouge dans chaque nouvelle, recueillant ces récits de résilience, les laissant résonner en elle, évoluant au fur et à mesure. Dans la dernière nouvelle, elle affronte enfin le souvenir de son amie et en raconte l’histoire, la plus forte du livre, comme un point culminant. Certains éditeurs traditionnels ont hésité à publier La Nuit s’évapore, mais ils me demandaient souvent d’accentuer ce fil rouge pour que le livre devienne nettement un roman, alors que j’assume ce parti pris du fragment qui me semble la seule forme possible pour ce livre.
Que souhaitez-vous transmettre par votre plume ?
J’ai une conception néo-romantique de l’écriture : elle est un phare pour guider le lecteur s’il le souhaite dans la nuit ; elle est une transfusion d’émotions à l’état pur. Je n’écris pas pour militer ou interroger le réel, mais plutôt pour dépasser les limites du réel, pour atteindre une vision particulière, une révélation presque surréelle et spirituelle à partager avec le lecteur. Je crois aux pouvoirs régénérants de l’écriture littéraire – et donc aussi de la lecture.
Selon vous, quelle est la place de l’auteur dans notre société ?
Même si nous sommes dans une société de l’image, l’auteur garde une place véritable et nécessaire. Personnellement, j’en ai fait mon métier en diversifiant les formes d’écriture : après ma thèse académique, je me suis orientée vers le journalisme, la réalisation documentaire (qui comporte l’écriture d’un scénario, même si on filme le réel), la formation en écriture créative et documentaire, l’écriture littéraire… C’est aussi important que l’auteur s’adapte aux nouveaux usages de lectures – notamment sur le web, ou qu’il tente des expériences hybrides – notamment avec l’image, ou encore qu’il inscrive l’écriture dans un processus de recherche en parallèle de l’évolution de la société. Mais tout en conservant intacte son exigence stylistique.
Vous avez aussi écrit plusieurs livres sur Amélie Nothomb. Vous sentez-vous proche de sa vision de la littérature ?
Il y a dans l’écriture d’Amélie Nothomb une énergie littéraire salvatrice que je partage, même si nos univers et nos styles d’écriture sont très différents. L’écriture lui est consubstantielle, ce que je comprends. J’ai publié aux éditions Albin Michel une biographie et une thèse de doctorat sur ses romans. Nous avons aussi enregistré un disque d’entretien ensemble et quand j’ai fait mon premier documentaire pour France 5 en 2012, c’était avec elle, sur les traces de ses romans autobiographiques au Japon, et une aventure extraordinaire. Nous sommes devenues très amies. Son avis compte énormément – et elle fut l’une des premières lectrices enthousiastes de La Nuit s’évapore.
Votre plus beau souvenir en tant qu’auteur ?
Il y en a beaucoup ! Chaque retour de lecteur est un cadeau pour moi et je n’aurais jamais imaginé en recevoir autant. Pour choisir un souvenir récent, j’ai été émue de recevoir un message manuscrit très beau de l’écrivain Christian Bobin au sujet de mon livre La Nuit s’évapore. C’est l’une des plus belles reconnaissances qui soit : quand un auteur, qui vous inspire depuis longtemps, vous lit en retour.
D’autres passions hormis l’écriture ?
Le voyage ! Sous toutes ses formes : voyage réel à la découverte de nouvelles cultures et cuisines et de paysages inconnus, voyage à la rencontre de personnes nouvelles, voyage intérieur à travers les sensations, les émotions, les lectures, l’imaginaire, et la quête de sagesses.
Avez-vous des projets en cours ?
Oui ! Plusieurs documentaires déjà. Et je commence un roman de fantasy (enfin il y a déjà trois versions préalables mais je reprends tout) et ce sera une collaboration avec mon fils de 17 ans qui possède un talent de scénariste. Je continue l’écriture de nouvelles peut-être pour un recueil futur, la publication de poèmes et je pense déjà à plusieurs idées de romans littéraires. Je conçois l’écriture comme un chemin de vie – nourrissant et généreux.
Portrait littéraire de Laureline Amanieux
Si vous étiez…
Un roman classique : La Princesse de Cléves de Madame de La Fayette
Un roman contemporain : La Plus que vive de Christian Bobin
Une pièce de théâtre : La Folle de Chaillot de Giraudoux
Un poème : Le sonnet du Baiser de Louise Labbé
Un auteur : Haruki Murakami (pour toute son oeuvre)
Un personnage de roman : Lancelot dans Le Chevalier à la charette de Chrétien de Troyes
Un genre littéraire : Le poème
Un mot : Transmuter
Une citation : « La nuit n’est jamais complète. Il y a toujours puisque je le dis. Puisque je l’affirme. Au bout du chagrin une fenêtre ouverte » Paul Eluard